L’antisémitisme à gauche aux États-Unis (deuxième partie)

Deuxième partie de la fiche de lecture collective, progressive et « rédigée dans l’urgence » à propos de Des rouges, des rouges-bruns et des bruns. L’antisémitisme aux États-Unis au XXIe siècle de Spencer Sunshine, traduit et publié en 2023 en français par les Éditions Ni patrie ni frontières. Pour lire la première partie cliquer ici.

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Rappelons que Spencer Sunshine est un essayiste qui milite à gauche depuis plus de trente ans aux États-Unis. Il se décrit comme « attiré par une gauche antinationaliste, consciente de la nécessité de rejeter l’antisémitisme (…) » et ne cherche pas « à décourager quiconque de s’engager dans un travail de solidarité avec la Palestine ». Il précise encore qu’il n’a « aucun intérêt pour le mouvement sioniste ou ses revendications. » (Toutes les citations en italique et entre guillemets sont de l’auteur). Son livre Des rouges, des rouges-bruns et des bruns… est un recueil d’articles écrits sur une période de vingt ans environ.

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Au sujet du « sionisme » Spencer Sunshine écrit : « Même si le sens du mot sionisme n’était pas forcément le même pour tous ses partisans avant 1948, aujourd’hui j’appelle sionistes ceux qui cherchent à maintenir un État juif au sein de l’État d’Israël, et ce quelles qu’en soient les limites. Cela inclut ceux qui soutiennent un État palestinien séparé aux côtés d’Israël. Inversement, pour moi, les antisionistes sont ceux qui cherchent à dissoudre Israël en tant qu’État juif. Dans les milieux politiques de gauche, ces termes sont utilisés de manière beaucoup plus vague. »

Dans l’avant-propos au long « chapitre » intitulé « Comment la gauche anglophone perçoit l’antisémitisme », Spencer Sunshine rappelle que la droite exagère l’ampleur et la portée de l’antisémitisme au sein de la gauche, mais que cette dernière « a refusé à maintes reprises d’affronter le problème ». Selon l’auteur cela « fait partie d’un refus de traiter des questions juives en général », d’un refus de « reconnaître l’existence de la communauté juive et de s’adresser à elle comme à une entité réelle ».

Depuis la deuxième Intifada (2000-2005), « les débats autour de l’antisémitisme à gauche ont augmenté parallèlement à la propagation de l’antisionisme » écrit-il. Spencer Sunshine poursuit en écrivant que « le droit au retour des Palestiniens, la dissolution de l’État d’Israël en tant qu’État juif » n’est pas « en soi » antisémite. Mais il ajoute que le diagramme de Venn montre que le chevauchement entre l’antisionisme et l’antisémitisme est « à la fois significatif et comporte de nombreuses nuances de gris. » Au sujet de ce diagramme l’éditeur (Ni patrie ni frontières) note qu’on le « représente souvent (…) par une série de cercles qui se chevauchent pour montrer toutes les relations logiques possibles entre différents ensembles. »

Plus loin Spencer Sunshine écrit : « La gauche n’arrive pas à reconnaître les problèmes liés à l’antisémitisme ». Et ce pour au moins deux raisons. La première : « les Juifs perturbent constamment ses catégories conceptuelles. » La seconde : la gauche devrait repenser « de nombreux problèmes, notamment la façon dont elle aborde l’anti-impérialisme, le nationalisme des opprimés, l’antisionisme, les politiques de l’identité, le populisme, les théories du complot et les critiques du capital financier. »

L’essayiste écrit en outre que « la façon dont le conflit complexe qui se déroule en Israël/Palestine est réduit à une représentation en noir et blanc » et s’accompagne (souvent) d’une diabolisation de l’une des parties, ainsi que d’un rejet sans appel des « protestations de la communauté juive contre l’antisémitisme. »

La fin de l’article : « Toute approche acceptable doit commencer par éliminer les théories complotistes-antisémites et refuser de soutenir certains groupes antisémites – ce qui n’est pas le cas actuellement. Si la gauche ne peut même pas atteindre la première base, cela tient certainement à la montée de l’antisémitisme que nous constatons aujourd’hui. Mais si nous voulons y faire face, il ne suffit pas de prendre ces mesures évidentes : il faut affronter directement ces problèmes pour les résoudre. La gauche affirme combattre l’oppression ; elle ferait donc bien de se montrer à la hauteur de ses prétentions et de ses valeurs en prenant au sérieux l’antisémitisme dans ses propres rangs. »

Dans le texte suivant, « Préface » (il y a quelques d’articles assez courts au début du recueil), Spencer Sunshine mentionne pourquoi il a écrit ce livre (« connaître en détail pourquoi ce problème [d’antisémitisme] persiste » ) et à qui entre autre il s’adresse (« Ce livre s’adresse à des personnes qui connaissent déjà les terribles conditions dans lesquelles vivent les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie et qui maîtrisent les grandes lignes de l’histoire du conflit, notamment ce qui s’est passé en 1947 et 1967, ainsi que la première et la deuxième Intifada (…) »). Il précise encore que ses positions sur l’antisémitisme à gauche n’ont que très peu de points communs avec celles déjà exprimées par d’autres critiques de l’antisémitisme.

Spencer Sunshine continue en soulignant que les exemples choisis dans son livre qui témoignent de l’antisémitisme à gauche « datent surtout des années 2005-2012 », lorsqu’il était plus plus actif dans des milieux militants « où se posait cette question ». Il ajoute : « J’aurais certes pu inclure des détails plus actuels, mais cela n’aurait rien changé à ma démonstration. »

Puis il raconte une petite histoire personnelle qui fait partie d’une série d’incidents qui ont suscité son « intérêt » pour l’antisémitisme persistant, etc. Il raconte comment, lors d’un « projet musical progressiste » à Manhattan, il voyait « quelqu’un de gauche justifier l’antisémitisme » avec aplomb, comment un de ses amis trouvait « parfaitement compréhensible » qu’une personne déteste les Juifs « à cause d’Israël » (sic). « Et j’allais vivre bien d’autres expériences antisémites » ajoute-t-il.

« Introduction », l’article suivant, commence par cette série de questions : « La gauche refuse-t-elle de reconnaître que les Juifs sont un groupe qui peut être persécuté ou subir l’oppression ? Considère-t-elle que le véritable antisémitisme se limite à la violence néo-nazie ? Croit-elle qu’ils forment un groupe extrêmement privilégié qui dénonce bruyamment de légers désagréments présentés comme de l’antisémitisme ? A mon avis, cette dernière opinion domine parmi la gauche anglophone aujourd’hui – et sans doute dans de nombreux autres pays. »

Spencer Sunshine écrit que la gauche dont il parle dans son essai « se compose principalement d’anarchistes, de communistes, de sociaux-démocrates et d’autres militants progressistes qui critiquent le capitalisme, que ce soit dans une perspective réformiste ou révolutionnaire. » Il ajoute encore qu’« aucun auteur important ni aucune organisation de gauche anglophone significative ne s’exprime de manière cohérente contre l’antisémitisme à gauche, bien qu’une petite minorité de militants moins connus le fassent. Ceux qui proclament qu’il s’agit d’une calomnie sont beaucoup plus nombreux que ceux qui s’attaquent au problème. »

L’essayiste mentionne une liste d’auteurs états-uniens, britanniques et allemands et d’instituts qui ont travaillé sur l’antisémitisme. Les noms de Peter Staudenmaier, de Moishe Postone, de David Hirsh et de l’Institut d’écologie sociale figurant sur cette liste sont probablement les plus connus en France. Puis il ajoute : « En Grande-Bretagne, où la situation du Parti travailliste en fait un sujet plus important, les voix sont plus nombreuses » et rappelle qu’il « existe une très forte tradition d’opposition à l’antisémitisme à gauche en Allemagne ».

Ensuite Spencer Sunshine revient sur des « événements » de 2005-2006 quand « le Hamas montait en puissance à Gaza, et Israël menait la guerre contre le Hezbollah. » L’auteur écrit qu’il avait entendu parler d’accusations d’antisémitisme « au moment de la conférence des Nations unies à Durban, en 2001 », où des ONG « s’étaient réunies à part et avaient organisé une marche de protestation. » Peu de temps après le déclenchement de la seconde Intifada, « l’objectif initial de la conférence [à Durban] fut modifié (…) et certains groupes diffusèrent une propagande pro-nazie. »

À l’époque Spencer Sunshine suivait « la ligne de propagande » affirmant que la « vague d’antisémitisme liée à la seconde Intifada » était calomnieuse. Il rappelle que Noam Chomsky jouait « un rôle de premier plan dans la promotion de cette négation de l’antisémitisme. » Chomsky qui déclarait (attention c’est du lourd !) : « L’antisémitisme n’est plus un problème, heureusement. Certains le soulèvent […] parce que les privilégiés veulent s’assurer un contrôle total, et pas seulement un contrôle à 98%. C’est pourquoi l’antisémitisme est en train de devenir un problème ».

Avant cela, Spencer Sunshine s’intéressait en réalité peu « à l’histoire du conflit israélo-palestinien, ou aux nuances de l’anti-impérialisme et de l’antisionisme. » Il acceptait les positions « antisionistes » consensuelles du mouvement altermondialiste. Mais au cours des années suivantes, il changeait d’avis et admettait que les accusations d’antisémitisme au sein de la gauche étaient vraies.

L’auteur raconte en outre qu’il fut témoin et victime d’incidents répétés, d’« expériences assez désagréables, ouvertement antisémites » qui le concernaient personnellement. Il ajoute : « Je n’aurais accordé aucune importance à ces incidents si leurs protagonistes n’avaient été soutenus par un chœur plus large et plus bruyant de supposés camarades qui les acceptaient, les justifiaient et parfois m’attaquèrent pour avoir soulevé la question. »

Par ailleurs Spencer Sunshine remarque que « la gauche » défend « des positions incohérentes sur l’identité et sur l’oppression, selon le groupe concerné. » Et qu’elle a toujours été moins encline « à reconnaître l’antisémitisme » et plus exigeante « vis-à-vis des Juifs et des communautés juives. » L’auteur ajoute : « Ceux qui limitent le véritable antisémitisme aux étoiles jaunes et aux camps de la mort passent à côté de la façon dont l’antisémitisme a fonctionné pendant au moins un millénaire avant l’arrivée au pouvoir des nazis, et donc en nient l’existence aujourd’hui. (…) Les cycles de tolérance-attaques-tolérance qui caractérisent l’antisémitisme depuis des siècles en Europe devraient également inciter à une extrême prudence ceux qui annoncent sa disparition, surtout si l’on considère que des millions de personnes (dont mes propres parents) ont connu l’époque de la Shoah. Si nous nous éloignons des cycles de l’indignation médiatique, et adoptons une vue d’ensemble de l’histoire, l’antisémitisme a été populaire en Occident durant une période qui n’est ni très ancienne, ni très lointaine. »

Plus loin l’essayiste dresse une liste de préconisations très claires de la « communauté juive » sur l’antisémitisme, de préconisations à mettre en pratique « pour éviter d’être accusés d’antisémitisme. » Puis il mentionne rapidement quelques allégations à propos de BDS et mentionne que « même l’Anti-Defamation League a déclaré : Tous ceux qui soutiennent le BDS ne sont pas antisémites et il faut opérer des distinctions).

Ensuite Spencer Sunshine revient sur des « polémiques » autour de la Marche des femmes aux États-Unis. Tamika Mallory (une des membres du Comité Organisateur) « avait soutenu et promu Louis Farrakhan, dirigeant de la Nation de l’Islam, organisation antisémite avérée. » Linda Sarsour, « une autre membre de la direction de cette Marche des femmes » déclarait : « Cela n’a aucun sens de demander : “Y a-t-il une place dans le mouvement féministe pour les personnes qui soutiennent l’État d’Israël et ne le critiquent pas ? Il ne peut y avoir de place pour ces gens-là dans le mouvement féministe. Soit vous défendez les droits de toutes les femmes, y compris les Palestiniennes, soit vous ne les défendez pas. Il n’y a pas d’autre solution . » Ce à propos de quoi Spencer Sunshine écrit : « Bien que cette réflexion semble raisonnable à première vue, Sarsour n’a pas mentionné cette condition préalable pour les partisans des gouvernements de l’Iran ou de l’Arabie Saoudite, par exemple, qui bafouent également les droits des femmes. (…) [S]a condition d’exclusion ne concerne que les communautés juives. »

L’auteur rappelle que la gauche prétend très souvent que ses militants sont critiqués parce qu’ils « défendent les Palestiniens ». Il ajoute que leurs récits spécifiques ont été réfutés depuis longtemps. Puis il cite Zahra Billoo (exclue de la même Marche des femmes quelques jours après son élection) qui déclarait entre autre que (attention c’est du lourd !) « Blâmer le Hamas pour envoyer des roquettes sur Israël (…), c’est comme blâmer une femme pour avoir frappé son violeur. » (sic)

Spencer Sunshine écrit à propos des déclarations de ces femmes : « Quoi que l’on pense de ses déclarations, le fait de justifier des crimes de guerre (les roquettes du Hamas visaient des civils) (…) dépasse la simple défense des droits de l’homme des Palestiniens. Quant à Billoo, elle prétend être victime d’une campagne de diffamation islamophobe, campagne qui s’attaque à toute personne qui ose s’exprimer en faveur des droits de l’homme et du droit à l’autodétermination des Palestiniens. L’esquive et la manœuvre de diversion sont claires (…) : la communauté juive s’oppose à certains arguments antisémites » alors que Billoo prétendait être attaquée seulement parce qu’elle soutient les Palestiniens. « Ce genre d’argumentation malhonnête est monnaie courante dans ces débats. (Des affirmations fausses similaires sont également courantes du côté pro-israélien.) »

L’essayiste discute ensuite du groupe Neturei Karta qui est parfois mis en avant par certains militants de gauche ou « pro-Palestine ». À son sujet il écrit : « Cette secte ultra-orthodoxe porte des vêtements identifiables et brandit des pancartes arborant des slogans tels que “Les Juifs authentiques sont contre l’oppression sioniste.” Ce groupuscule est ultra marginal (…) ; dans le passé, les Naturei Karta ont collaboré avec des négationnistes et des fascistes. » L’éditeur du livre (Ni patrie ni frontières) note que Neturei Karta a été soutenu en France « par l’agitateur antisémite et négationniste Dieudonné, le national-socialiste Alain Soral et le négationniste Robert Faurisson. » Ce groupe sert « d’alibi à certains antisionistes d’extrême droite et d’extrême gauche. Une fraction des Neturei Karta participa à la conférence négationniste organisée à Téhéran en 2006. »

Spencer Sunshine poursuit : « Les Juifs antisionistes sont plus généralement utilisés comme des certificats de garanties par les militants de gauche non juifs pour prouver qu’ils ne sont pas racistes. Si les Juifs antisionistes ont certainement le droit d’exprimer librement leurs opinions, le nombre de Juifs qui cherchent à démanteler activement Israël en tant qu’État juif ne représente probablement qu’une infime partie de la population juive américaine. » Puis il mentionne des sondages et précise qu’il est difficile d’obtenir des chiffres exacts. Néanmoins, il indique par exemple que seulement 10% des Juifs américains (sondés) soutenaient BDS.

L’auteur écrit ensuite que l’antisionisme politique « compte peu de soutiens parmi les Juifs pratiquants ». Puis il souligne que « La gauche ne considérerait jamais que les 8% d’électeurs noirs ayant soutenu Trump en 2016 représentent la communauté noire, pour ne pas parler des 13% de musulmans qui ont soutenu ce président républicain (…). En fait, lorsque les trumpistes mettent leurs partisans noirs au premier plan, la gauche comprend que leurs opinions ne sont pas celles de la majorité des Afro-Américains. Ainsi, puisque l’immense majorité de la communauté juive semble ne pas vouloir l’abolition de l’État d’Israël, pourquoi la gauche considère-t-elle la petite minorité de juifs antisionistes comme représentative de toute la communauté juive ? »

Selon Spencer Sunshine, les Juifs antisionistes mis en avant « sont utilisés comme des gages d’antiracisme par la gauche qui refuse d’aborder les problèmes des Juifs ou de faire face à l’antisémitisme. » Or si la gauche « veut soutenir l’opinion juive, elle doit laisser s’exprimer toutes les opinions juives, pas seulement celles qu’elle préfère. »

L’essayiste poursuit : « De nombreux participants à ces discussions interprètent le sionisme” comme un soutien aux politiques israéliennes en Cisjordanie et à Gaza. Mais ni les militants du mouvement antisioniste ni les membres de la communauté juive ne comprennent ce terme ainsi. Le sionisme signifie maintenir Israël en tant qu’État juif, et ce quelles qu’en soient les frontières. » Et il ajoute : « Si, comme nous l’entendons couramment répéter à gauche, le sionisme est similaire au fascisme et que le fascisme représente un phénomène si terrible qu’il doit être combattu par la force si nécessaire – alors pourquoi la gauche ne dit-elle pas simplement qu’elle est opposée à quasiment toutes les organisations communautaires juives, qui veulent presque toutes qu’Israël continue d’exister sous une forme ou une autre ? » Puis il cite Mark Gardner selon lequel « les discours antisionistes de gauche actuels signifient en fait que la quasi-totalité des membres des “principales communautés juives (et leurs sympathisants) sont condamnés comme des réactionnaires et des défenseurs de l’oppression”. » Ce qui « est très clairement l’opinion de certains militants propalestiniens » ajoute encore Spencer Sunshine.

Il continue son article en écrivant que « La gauche accepte la violence contre les fascistes, mais son raisonnement antisioniste s’arrête à mi-chemin ». Si pour elle le sionisme est vraiment synonyme de « suprématie blanche », (attention provoc !) « pourquoi les militants de gauche ne brûlent-ils pas les synagogues et n’attaquent-ils pas la plupart des Juifs ? Pour les lecteurs qui pensent que j’exagère, cela se produit en fait en Europe, car les synagogues et les Juifs ont été fréquemment attaqués lors des attaques israéliennes contre Gaza. » Puis l’auteur rappelle à titre d’exemples des faits de juillet 2014, lorsqu’une attaque israélienne contre Gaza avait fait plus de 2000 morts. À la suite de l’attaque, plusieurs synagogues et commerces appartenant à des Juifs avaient été attaqués en Europe, dont certains en France. Des slogans antisémites étaient hurlés dans des manifestations et en Allemagne une synagogue reconstruite après la Nuit de Cristal avait été incendiée. Etc., etc. Le traducteur (Ni patrie ni frontières) note à ce propos : « selon la presse française de l’époque, y compris les publications du CRIF, l’épicerie cascher [en France] n’a pas été détruite ni pillée mais elle a reçu un cocktail Molotov, provoquant un début d’incendie. Trois commerces appartenant à des Juifs, dont la pharmacie, ont été incendiés et tous ceux appartenant à des musulmans, sur la même place, ont été épargnés (…) ».

En outre Spencer Sunshine écrit que « Soit le sionisme doit être traité comme n’importe quelle autre forme de politique suprémaciste blanche, soit cette qualification est absolument inadéquate. » Et il ajoute : « Refusant catégoriquement de se conformer aux exigences les plus raisonnables des organisations de la communauté juive, la gauche préfère laisser imploser des projets importants, ou subir un préjudice important, plutôt que de prendre des mesures, même élémentaires, pour s’attaquer au problème. »

L’auteur évoque de nouveau les scandales d’antisémitisme liés au Parti travailliste britannique, à Occupy Wall Street et à la Marche des femmes aux Etats-Unis. Il souligne « qu’ils auraient pu être évités si des précautions élémentaires (qui auraient été immédiatement mises en œuvre si les groupes ciblés avaient été composés de musulmans, de personnes de couleur ou LGBTQ+) avaient été prises. » Ce qui renvoie à ce genre de « deux poids deux mesures » dont Spencer Sunshine discutait précédemment à propos de la gauche moins encline « à reconnaître l’antisémitisme » et plus exigeante « vis-à-vis des Juifs et des communautés juives. »

Plus loin l’essayiste raconte comment il a lutté contre l’apathie de la gauche face à la présence « d’antisémites d’extrême droite dans des lieux progressistes ». Quand par exemple Tim Calvert, « un militant progressiste de longue date à Portland (dans l’Oregon), commença à faire venir des orateurs d’extrême droite dans des lieux de réunion locaux. (…) ». Calvert adhérait « aux théories conspirationnistes antisémites d’extrême droite » et son groupe « invita même un militant d’extrême droite lié à l’Armée de Dieu (Army of God), un groupe terroriste qui a fait exploser des cliniques d’avortement ». Spencer Sunshine écrit qu’il fallut une campagne d’une durée de quatre ans « pour l’isoler [Calvert] de la scène progressiste locale ». Il évoque également qu’en 2016, à Brooklyn, Melissa Ennen (qui défendait des théories complotistes à propos du 11 septembre 2001 et qui possède Brooklyn Commons, « lieu qui accueille des réunions progressistes ») invitait Christopher Bollyn, « écrivain d’extrême droite » qui participait à des médias de diffusion de propagande négationniste et pro-nazie. Ennen « refusa d’annuler l’événement. Elle déclara même publiquement qu’elle accueillerait volontiers David Duke [ancien dirigeant du Ku Klux Klan] pour y prendre la parole. Par la suite, de nombreux militants de gauche signèrent une lettre ouverte soutenant Ennen et s’opposant à un boycott, approuvant donc ainsi la cashérisation des invitations envoyées aux nazis pour qu’ils prennent la parole. »

Ensuite Spencer Sunshine écrit qu’il lui semble « que le fait que l’antisémitisme lui-même résiste à une analyse complète – en raison de la nature glissante du sujet – fait en réalité partie intégrante de sa fonction. Évoluant constamment, il développe en permanence de nouveaux mots codés pour se dissimuler. L’antisémitisme se faufile si facilement entre les idéologies politiques et les religions qu’il s’apparente davantage à un phénomène qui hante les sombres recoins de l’esprit, là où résident la peur et l’anxiété. Il considère donc les Juifs – ou au moins un sous-ensemble d’entre eux – comme un ennemi perpétuel. C’est peut être lié au fait que l’antisémitisme moderne a émergé à partir de l’antisémitisme chrétien médiéval, lorsque les Juifs étaient considérés comme des représentants de Satan. De même que Satan a toujours incarné les peurs et les inquiétudes concernant les vrais problèmes du monde, la projection de ces peurs – qui, bien sûr, changent constamment – repose aujourd’hui sur les épaules des Juifs. »

Puis l’essayiste revient sur un cercle de lecture qu’il organisait avec des militants de gauche à partir de 2005, lorsqu’il « commençait » à s’intéresser sérieusement à l’antisémitisme au sein de la gauche. Dans un premier temps le cercle (qui se transformait par la suite en groupe de discussion international) dénichait quelques « cas » d’individus « s’attaquant aux Juifs en tant que tels, ou niant l’existence de la Shoah. » Spencer Sunshine cite en exemple Ramsey Kanaan, le fondateur des maisons d’édition AK Press et PM Press, qui en 2002 annonçait une conférence sur le « renouvellement de la tradition anarchiste » et mentionnait que le « judaïsme » « était l’une des choses qui posait des problèmes dans le mouvement anarchiste américain.” » À propos de cette annonce de Kanaan, Spencer Sunshine ajoute : « Imaginez la réaction si quelqu’un annonçait aujourd’hui qu’il allait expliquer pourquoi l’islamest l’un des problèmes de la gauche ! »

Ensuite l’essayiste aborde « l’affaire Faurisson » et les négationnistes d’ultragauche française de La Vieille Taupe. Il rappelle que Noam Chomsky « avait signé une lettre publique de soutien à un négationniste français », qu’il qualifait Robert Faurisson de « libéral relativement apolitiqueet nie que ce dernier soit antisémite ». L’auteur rappelle encore que « Chomsky a défendu sa position au fil des ans sur cette question, tout en rejetant l’antisémitisme américain en général et l’antisémitisme à gauche en particulier. Plus récemment, il a attaqué le mouvement antifasciste. »

Spencer Sunshine termine l’article en mentionnant ce que son groupe de lecture/discussion étudiait : « – l’utilisation de théories conspirationnistes antisémites codées, fondées sur des synecdoques ; – la négation de l’antisémitisme ; – les mouvements croisés entre la gauche et la droite ; – le soutien à des groupes nationalistes noirs et islamistes ouvertement antisémites ; – et le deux poids deux mesures, notamment pour ce qui concerne le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. »

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Nous essayerons d’être plus « brefs » dans les prochains articles. Bien que le but de cette fiche est de proposer un « compte-rendu » (écrit rapidement) le plus complet possible, nous ne voudrions pas qu’il soit trop long et qu’il décourage les lecteurs de cette fiche de lire le livre. Dans l’article suivant nous essayerons également de terminer la partie sur « l’antisémitisme à gauche ». Ensuite viendront les articles sur « l’antisémitisme à droite », sur « l’antisémitisme et ses passerelles » puis la partie « critique » du livre.